[chapo]Juin 2017. Le temps de trois semaines, PM4IT nous fait quitter l’Europe et poser nos valises en Asie. Expérience aussi motivante qu’incertaine : dix mille kilomètres, six heures de décalage horaire, des journées de dix heures pour un contenu condensé sur deux jours au lieu des deux jours et demis initialement prévus. Quatre jours à Hong-Kong, quatre en Shanghai, quatre à Singapour. Pas de temps mort, pas d’accommodation. Un challenge physique.[/chapo]
On ne répétera jamais à quel point l’exercice de la formation puise dans les réserves : gérer des groupes d’au moins quinze personnes, plusieurs jours d’affilée, en renouvelant sans cesse les messages pour les adapter à des sessions toujours différentes, revoir quotidiennement le contenu pour l’améliorer en continu. Lorsque le contenu est lié à des changements dans l’approche du travail, alors on a de plus le devoir de transférer une énergie et un état d’esprit.
Avec la fatigue, on peut craindre un certain manque de discernement dans l’animation, l’écoute. Dans les faits, c’est l’inverse qui se produit : l’excitation du challenge combinée à l’effervescence des rues de ces métropoles nous stimule au point d’enchaîner les prestations convaincantes. Sans compter la curiosité de confronter les valeurs de l’agilité à un environnement professionnel dont nous ne connaissons rien.
Autant le dire tout de suite, l’agilité en Asie, ça marche. Avec dans l’ordre d’apparition le Manifeste Agile. 4 valeurs et 12 principes, édictés en 2001 par un groupe de 17 experts américains du développement logiciel, aujourd’hui présenté en Europe dans des comités de direction comme la pierre angulaire des nouveaux modes de travail. En Asie, nous testions l’universalité de ce texte.
Les quatre valeurs résonnent positivement, comprises et partagées sans réserve, mais c’est surtout la façon dont elles résonnent qui fascine, en raison de sous-jacents culturels propres à l’Asie.
La première valeur du Manifeste, « Les individus et les interactions comptent davantage que les méthodes et les processus », apparaît en Europe comme une volonté ferme de retrouver des espaces de liberté et de créativité devant le poids excessif pris par les processus. En Chine, elle résonne comme l’affirmation d’une prédominance du réseau dans une société dont la population est la plus large du monde.
La troisième valeur, « La collaboration avec le client compte davantage que la négociation du contrat » touche à des valeurs sociétales où le recours au contrat est quasiment perçu comme un échec dans la relation.
La prédominance du produit fonctionnel sur la documentation d’un côté (valeur #2), et de l’adaptation au contexte plutôt qu’au suivi d’un plan de l’autre (valeur #4), soulignent un extrême pragmatisme qui est particulièrement bien compris en Asie alors qu’il soulève de fortes résiliences en Europe.
Depuis plusieurs années, j’interviens dans des entreprises dont les directions évoquent, dans un mélange indistinct de regret et de fierté, la difficulté qu’elles ont à se départir de leur culture du « produit parfait », qui leur demande généralement un temps phénoménal à livrer, bien loin des concepts de Lean Start-Up et de Produit Minimum Viable. En Asie, ces principes passent sans peine. En Europe, on les regarde encore, à tort me semble-t-il, avec une certaine défiance.
L’agilité résonne en Asie pour ce qu’elle est : une volonté constante de pragmatisme, une recherche absolue d’adaptation et une science de l’efficience. En France, nous n’en faisons parfois au mieux qu’une méthode, au pire une forme de libération des énergies sans aucun cadre. Il nous semble que l’approche asiatique donne à l’agilité la hauteur qu’elle mérite.
François RIVARD – Publié le 25 Octobre 2017