Astrakhan vous présente une série de deux articles consacrés à l’engagement et la motivation des salariés. Dans ce premier article, nous verrons en quoi les pratiques managériales actuelles ne sont toujours pas en adéquation avec les contraintes des entreprises et les aspirations des salariés. L’article suivant se concentrera sur les évolutions théoriques à l’origine des nouvelles pratiques managériales, ainsi que sur une présentation de ces méthodes qui se focalisent sur l’engagement.
D’après une récente étude de l’institut de sondage du cabinet de conseil Gallup (juin 2018), les salariés français sont parmi les plus désengagés d’Europe. Seul 6% des sondés déclarent être engagés au travail, c’est-à-dire très impliqués et enthousiasmés par leurs missions professionnelles, et un français sur cinq s’estime être désengagé, c’est-à-dire malheureux au travail. Manque de reconnaissance, moyens limités, management trop rigide, telles sont les raisons invoquées pouvant expliquer ces résultats.
Laragh Marchand, partner chez Gallup, invoque des causes liées à un management et des pratiques RH « trop top-down » ainsi que des profils de managers peu adaptés au management avec une orientation « davantage axée sur les compétences techniques que relationnelles ».
Pire encore, une étude de la DARES de 2017 met en avant le recul du degré d’autonomie des salariés français ces dernières années, faisant de plus en plus face à un environnement « toujours plus encadré et contrôlé ». Ces tendances autoritaires ont donc limité la marge de manœuvre des salariés. C’est d’ailleurs ce que conclut le célèbre stratège d’entreprise, Gary HAMEL, en expliquant que ces modes de direction « autoritaires » sont aujourd’hui « inadaptés à un monde de changement perpétuel, de compétition féroce, d’innovation débordante et d’exigences sociales ». Selon son point de vue, le management doit être perçu comme une technologie qui doit sans cesse s’adapter au contexte et qu’aujourd’hui il est important de « résister au confort rassurant de vouloir contrôler dans le management ».
Les résultats de ces enquêtes viennent contredire l’idée que l’on a de l’environnement de travail contemporain. En effet, la tertiarisation de notre économie, l’avènement des nouvelles technologies et des nouveaux modèles de gestion « libérée » calqués sur le succès des GAFA ou autres licornes de l’écosystème startups, auraient dû nous orienter vers des systèmes de gouvernance moins rigides, prônant l’autonomie et la satisfaction des salariés au travail (management participatif, holacratie, open innovation, etc.), afin de renforcer les marges de manœuvre des salariés et de ce fait leur engagement. On observe donc un décalage entre la réalité opérationnelle et les modes de management proposés.
Force est de constater que notre société est marquée par un contexte de crise financière et d’épuisement de certaines matières premières tout en poussant les entreprises à aller de plus en plus vite et à adopter rapidement les nouvelles technologies. Même si les entreprises essayent de s’adapter à ces changements on observe depuis plusieurs années des dérives autoritaires portées notamment par des contextes politiques prônant davantage la « fermeture ». Face à ce décalage et à ces mutations, il faut cependant rappeler que le modèle économique de développement actuel des entreprises ne semble plus adapté. Celui-ci s’obstine à se focaliser sur l’excellence opérationnelle en privilégiant une approche rigide et structurée, héritage des pilotages organisationnels tayloriens. Cette approche se traduit souvent par une lourdeur administrative, synonyme de coûts financiers importants, ainsi que d’une aversion au risque. Or, ce modèle est peu compatible avec les nouvelles contraintes de notre société, que sont la nécessité « d’ouverture » afin d’innover vite, l’impératif d’expérimenter en cycle court (et à moindre coût), ainsi que l’adaptation à l’évolution de nos tâches professionnelles (de plus en plus heuristiques et de moins en moins mécaniques), sans compter l’arrivée de l’Intelligence Artificielle.
En plus de ces sujétions, on observe l’émergence de fortes revendications sociales en termes de liberté et d’autonomie. Celles-ci se matérialisent par les récentes revendications sociales, le comportement de l’actuelle génération Y, déjà dans le milieu professionnel, et par celui de la génération Z, qui est en train de faire ses premiers pas dans ce secteur. En effet les revendications des générations Y s’orientent préférentiellement sur la recherche de liberté et d’épanouissement dans leur travail. Pour la génération Z, leur barycentre se concentre autour de l’intérêt de la finalité globale de l’entreprise, c’est-à-dire de la Responsabilité sociétale de celle-ci. Ces nouvelles aspirations et revendications viennent à l’encontre du modèle carriériste du salarié, pouvant encore se complaire dans le système de gestion actuel lui offrant stabilité et sécurité.
Ces changements doivent transparaitre au niveau des entreprises. Non seulement les modèles de développement doivent désormais intégrer une dimension d’engagement sociétal, un modèle de formation pour faire face à l’obsolescence de plus en plus rapide des emplois mais surtout des modes de management s’adaptant au contexte et aux aspirations des salariés actuels (recherche de finalité, travail collaboratif, esprit entrepreneuriale, créativité, innovation, etc.) tout en évitant les écueils des anciennes méthodes (découragement de l’initiative et de la prise de risque, un management peu humain, etc.). Il s’agit bien ici de remettre en marche la machine à engager et à motiver les salariés en prenant en compte ces dimensions et en s’adaptant aux nouvelles réalités du monde.
Non seulement le management gagnera à être plus humain en intégrant les dimensions de motivations des salariés, mais en plus, enrichi de salariés motivés, ces systèmes permettront d’éviter les phénomènes de Leapfrogging pour les entreprises (perdre un statut de leadership lorsque de nouvelles innovations radicales sont adoptées par de nouveaux entrants).