[chapo]Charlie CHAPLIN disait » L’Homme est un animal aux instincts de survie primitifs : son ingéniosité s’est donc développée d’abord, et son âme ensuite « . D’une certaine manière, cette citation retrace bien l’évolution du management. D’abord axé sur les outils et les processus, le management semble désormais se préoccuper du facteur humain. Jusqu’où ?[/chapo]
SMITH, MARX, FORD et TAYLOR sont dans la continuité d’un modèle où le manager est un expert : meilleure est sa connaissance des processus de l’entreprise, plus hautes sont les responsabilités qui lui sont confiées.
Plus on a la connaissance et plus on la fait appliquer aux moins gradés. L’outillage des usines est alors un gros facteur de performance. De meilleurs outils permettent une meilleure performance. C’est ainsi que le facteur humain est considéré : un élément du système, une pièce du processus, un rouage dans la machine.
Comme le manager incarne aussi la culture de son organisation, il se retrouve, involontairement ou non, dans la position d’un défenseur. Défenseur d’un savoir-faire, défenseur d’une culture. Peut-être peut-on déceler là l’un des motifs de la traditionnelle résistance de nos organisations au changement.
Dans ce contexte, le manager est dépositaire de l’information qu’il choisit de diffuser, ou pas, et c’est de la maîtrise de cette information que naît une partie de son pouvoir. De ce fait, l’essor d’Internet et du courrier électronique s’est d’abord accompagnée d’une généralisation des phénomènes d’escalade. Involontairement ou non, parce qu’il ne savait pas travailler autrement et qu’il n’y était pas poussé, le management a ancré dans les entreprises de l’ère post-industrielle le sentiment de déresponsabilisation qui prévalait déjà du temps de CHAPLIN.
Le changement d’état d’esprit et de culture qu’impliquait les nouvelles technologies ne s’opérait pas. L’information circulait de façon bidirectionnelle mais les modes de management restaient verticaux.
La deuxième vague d’Internet, celle qu’on dit Digitale, a eu davantage d’impact. On a enfin pris conscience de la nécessité de manager autrement. Les managers n’ont plus le contrôle du savoir et de l’information : une nouvelle catégorie d’outils, dont les réseaux sociaux et les messageries instantanées font partie, est passée par là.
Les fonctionnements deviennent transversaux. On ne transforme par les grandes entreprises en start-ups (là encore il n’en a jamais été question, il s’agit d’un autre contresens), mais on questionne ses silos qui massacrent la performance et maintiennent un état d’esprit féodal dans les organisations.
On veut créer une réelle collaboration. Et bien entendu, une nouvelle génération d’outils émerge pour accompagner ce nouveau stade de la transformation. On veut parler ici de la réalité étendue. La réalité étendue (eXtended Reality ou XR) accompagne la réflexion autour des Digital Workplaces, des plates-formes collaboratives comme Bluescape et Prysm, et le passage du personal computing au collaborative computing.
Il peut sembler étonnant de parler de XR dans ce contexte. Après tout, les cas d’usage actuels sont d’abord centrés sur l’apprentissage et la maintenance industrielle. La collaboration est la prochaine vague.
On sait depuis Isaac Getz et Jurgen Appelo que le bien-être au travail n’est pas qu’un effet marketing. Les perspectives de ce qu’on appelle aujourd’hui le » Happiness » sont puissantes pour les organisations en quête de sens : hausse de productivité et de qualité, capacités d’innovation plus fortes, engagement et fidélité accrus… Charge alors au management de faciliter les bonnes conditions de cette expérience. Or les outils de cet engagement s’opèrent d’abord en présentiel. Workshops managériaux, jeux d’innovation, conduite agile de projets : le travail peut certes devenir une expérience individuelle et collective mais d’abord dans la même pièce.
Le besoin accru de collaboration se heurte ainsi à une difficulté croissante : développement du télétravail, entreprises disséminées sur plusieurs territoires, prix du mètre carré rédhibitoire. En réalité, tout pousse à la virtualisation du travail. C’est là qu’intervient la XR.
Avec la XR, on garde la possibilité d’une expérience immersive ou semi-immersive, qui se perd dès lors qu’on travaille les yeux rivés sur un écran, en présentiel ou non. Combien de réunions se déroulent avec des participants physiquement présents mais intellectuellement ailleurs, occupés à rédiger des mails ou gérer des urgences ? Avec la XR, on obtient l’opposé : des participants physiquement absents mais intellectuellement engagés. Ce faisant, on fait disparaître le principal écueil au fonctionnement en agile.
L’agile prônant par ailleurs la transparence, on détient avec la XR les moyens de pousser plus loin la transformation culturelle de nos organisations : une entreprise où on peut créer et recréer à la demande des environnements collaboratifs et informationnels virtuels. L’opportunité est belle de pousser les managers à accompagner ce changement et de sortir de leur rôle de défenseur pour aller de l’avant.
François RIVARD & Théo HETMANIUK-PERRIER