SAFe est-il vraiment safe ?

SAFe est-il vraiment safe ?

Auteur : Ievgeniia Zinchenko (Consultante innovation, Agilité et Management) chez Astrakhan - Date de publication : juin 21, 2021

Scaled Agile Framework (SAFe) est un cadre qui permet de développer l’agilité à grande échelle. Si la plupart des entreprises  travaillent avec SAFe, d’autres pensent que ce framework n’est pas agile à cause de sa complexité et de sa faible flexibilité. Qu’en-est-il réellement ? Nous aborderons dans cet article les principaux avantages et inconvénients de SAFe.

SAFe est-il SAns risque?

Lorsque nous parlons d’agilité, nous faisons référence à un état d’esprit spécifique fondé sur des principes de flexibilité, de simplicité et d’adaptabilité. Scaled Agile Framework (SAFe) offre un modèle d’organisation qui permet aux grandes sociétés complexes de tirer parti de l’état d’esprit Lean-Agile (Lean, Agile, systems thinking, DevOps) au niveau de l’entreprise. Alors que de nombreuses organisations adoptent volontiers le framework SAFe, beaucoup craignent que SAFe ne soit ni Agile, ni sans risque. Dans cet article, nous verrons les avantages et les inconvénients de ce framework à l’échelle.

Les arguments autour de SAFe :

1. Trop lourd, trop compliqué

Source : https://www.scaledagileframework.com/whats-new-in-the-safe-5-1-big-picture/

Il suffit de regarder le schéma explicatif de SAFe pour être tenté de reconnaître à quel point cette méthodologie est compliquée et excessive. De nombreux niveaux de gestion combinés à de nombreux rôles et de nouvelles terminologies peuvent en effet créer la confusion. Il existe des tonnes de pages pour expliquer comment SAFe fonctionne en pratique et des centaines de supports de formation et de vidéos. Alors que les créateurs du manifeste Agile souhaitaient trouver un moyen plus léger d’organiser le travail, SAFe l’a rendu inutilement trop lourd, compliqué et bureaucratique. Certains affirment également que lorsque les entreprises pensent à « mettre à l’échelle l’agilité », elles sont déjà éloignées de la compréhension globale de l’agilité. Par essence, l’agilité vise à réduire la gestion et à permettre aux petites équipes autogérées de prendre des décisions.

SAFe est conçu pour les grandes entreprises qui gèrent de multiples projets et impliquent de nombreuses équipes, mais qui souhaitent néanmoins mettre en œuvre les principes Agile et Lean dans leurs processus de travail. Si la structure de l’organisation devient plus complexe, les processus qu’elle régit le deviennent naturellement aussi. Même si de nombreuses petites équipes auto-organisées existent déjà dans l’entreprise, elles doivent trouver un moyen de coexister et de se coordonner entre elles pour ne pas se disperser. Les partisans de SAFe affirment qu’il permet de passer à l’échelle supérieure et d’appliquer l’agilité à l’ensemble de l’organisation, en impliquant non seulement les équipes de développement, mais aussi les directeurs généraux, les finances ou les RH.

2. Trop de processus

Une autre critique affirme qu’il y a trop de couches de processus, et que l’on impose une planification préalable et une approche descendante. Les critiques estiment que la structure compliquée des événements de coordination rend le cadre plus traditionnel, c’est-à-dire en cascade plutôt qu’Agile. La réunion de planification « Program Increment Planning (PI Planning) » nécessite de consacrer plus de deux jours à la discussion et à l’élaboration d’une feuille de route pour les 10 semaines ou les 5 sprints suivants. Les nombreuses interactions supplémentaires sont considérées comme excessives et comme une perte de temps plutôt que comme une coordination efficace.

Les partisans de SAFe affirment que, même si cela ajoute des événements supplémentaires, ceux-ci ont pour seul but l’alignement sur la vision et le plan d’action, ce qui est nécessaire pour une coordination efficace des structures organisationnelles complexes. Sans une communication et une collaboration constantes, il est difficile de parvenir à une transparence totale, certains détails peuvent être oubliés et les équipes peuvent faire fausse route, ce qui peut entraîner encore plus de blocage et une augmentation des coûts. La clé est de trouver un juste équilibre, où les réunions ne seront pas considérées comme une perte de temps, mais plutôt comme une occasion de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde.

3. Trop de niveaux de gestion

On considère que les niveaux de gestion supplémentaires dans SAFe ne font qu’ajouter des niveaux de contrôle inutiles et rendent la prise de décision plus centralisée. Alors que l’agilité tente de donner plus d’autonomie aux équipes dans la prise de décision et la gestion des risques, les règles SAFe imposent plus de bureaucratie, ce qui peut mener à la confusion et même ralentir le flux de travail global. Au lieu d’être plus indépendantes dans leur travail et leurs décisions, les équipes n’ont pas de liberté de manœuvre, car elles doivent se conformer aux Portfolio Epics et au Program Increment Planning général. Les équipes sont également impliquées dans les « Agile Release Trains », où tout le monde est interconnecté et dépendant les uns des autres, ce qui ralentit également l’efficacité du travail.

La principale motivation derrière l’ajout de couches organisationnelles et de nouveaux rôles est la recherche d’une meilleure coordination entre les multiples équipes et les centaines de personnes impliquées dans la livraison du produit, qui peuvent être réparties sur de nombreux sites. Cela peut sembler frustrant pour les petites équipes qui pratiquent déjà l’agilité, mais l’existence de ces niveaux de gestion s’explique par la nécessité de gérer des projets plus complexes, plutôt qu’une petite équipe de 5-10 personnes. Si toutes les équipes sont dépendantes les unes des autres, SAFe propose un modèle qui garantit l’alignement de la stratégie commerciale et du développement logiciel, la communication et la synchronisation interfonctionnelles, tout en permettant aux équipes Agile d’organiser leur travail au sein de leur groupe comme elles l’entendent.

4. Peu adapté au changement

De nombreux experts de l’Agilité s’accordent à dire que le problème de SAFe réside dans le fait qu’il rend le processus trop rigide et empêche les équipes de réagir rapidement à un changement. Dans SAFe, la planification et les engagements sont pris jusqu’à 5 itérations (10-12 semaines) à l’avance. Cela ne laisse aucune place à la flexibilité en cas d’amélioration nécessaire. Par conséquent, les résultats d’une réunion de PI Planning de plusieurs jours peuvent devenir obsolètes dès que les participants quittent la salle. En outre, le délai de réception du feedback est également prolongé, ce qui réduit la capacité à s’adapter et à réagir rapidement au changement.

Les partisans de SAFe soulignent qu’il est difficile de diriger avec succès une grande organisation avec un plan de deux semaines et sans vision ou feuille de route clairement définie. Travailler avec de nombreuses équipes et des dizaines de personnes nécessite une compréhension claire du développement du produit et des livrables au moins 3 mois à l’avance. Pour cette raison, SAFe fournit une certaine visibilité à l’entreprise et assure une livraison prévisible des incréments de produit. Certains affirment également que les grandes organisations souhaitent rarement changer plus souvent que tous les 3 mois. SAFe aide à avoir une vue d’ensemble et tente de trouver un équilibre entre la stratégie à long terme et la flexibilité à court terme.

Pour conclure

À première vue, le framework SAFe semble être trop bureaucratique et directif pour être qualifié de véritablement Agile. Le manifeste Agile promeut la simplicité, l’auto-organisation et les réponses rapides au changement, ce qui peut être bien appliqué dans de petites équipes Agiles. Cependant, si le produit est très complexe et que l’organisation compte des dizaines d’équipes auto-organisées, la gestion peut devenir plus compliquée. Pour ce genre de situation, le framework SAFe suggère une solution, mais il est critiqué par beaucoup pour avoir imposé des niveaux de gestion, de contrôle et de processus supplémentaires peu agiles.

 Si les projets et les équipes sont trop nombreux pour être coordonnés, il est nécessaire de suivre une vision commune et de livrer des incréments de produit à certains intervalles. Maintenir l’équilibre entre être flexible et empêcher autant que possible les équipes de prendre leur propre direction sont des défis auxquels les grandes entreprises sont confrontées. Dans ce genre de situation, le cadre SAFe vise à garantir qu’un produit évolue de manière cohérente, que les petites équipes auto-organisées sont en phase les unes avec les autres et avec l’entreprise et que rien ne dévie de sa trajectoire. Même si SAFe peut sembler loin d’être totalement agile, il contribue à transformer et à introduire l’agilité dans l’ensemble de l’entreprise. De nombreuses organisations introduisent SAFe progressivement, d’abord au sein de quelques équipes et dans le cadre d’un seul Agile Release Train, afin de voir ses avantages et ses inconvénients dans la pratique. Au final, en suivant les principes d’inspection et d’adaptation, chaque organisation est libre d’adapter n’importe quel cadre pour mieux répondre à son contexte et à ses besoins.